Faciliter l’accès à la prise en charge psychologique est une bonne chose à condition que ce ne soit pas au détriment des patients.

L’information ne vous a probablement pas échappé. Le gouvernement a annoncé la prise en charge des consultations psychologiques par la sécurité sociale pour 2022.

Bonne nouvelle ?

Dans l’absolu, c’est une bonne idée de faciliter l’accès à la prise en charge psychologique. À titre personnel, je suis d’accord sur l’objectif et la nécessité d’une prise en charge des consultations par l’assurance maladie et les complémentaires santé.

La plupart des psychologues le sont.

Mais…

En l’état, la proposition du gouvernement inquiète les psychologues. À mon sens, les psychologues sont en réalité plus inquiets qu’en colère. La frontière entre inquiétude et colère est mince mais réelle.

Pourquoi la proposition actuelle inquiète-t’elle les psychologues ?

Pour résumer simplement : telle qu’elle se dessine, la proposition du gouvernement peut mettre en péril la prise en charge correcte et éthique de nombreux patients en ouvrant la porte à une prise en charge au rabais de ceux qui auront recours au dispositif.

Je rentre un peu dans les détails sur trois point précis vers lesquels le projet présenté nous dirige.

Vers un parcours de prise en charge trop complexe !

Aujourd’hui, l’accès au psychologue est libre sans prescription médicale préalable. C’est le chemin avec le moins de friction possible.

Les seuls freins à l’accès à la prise en charge sont les suivants :

  • La personne en souffrance psychique n’est pas encore dans la démarche de prise en charge.
  • La personne en souffrance psychique ne peut pas être prise en charge en centre médico-psychologique, le plus souvent à cause de délais très longs de prise en charge allant de 6 mois à 1 an d’attente.
  • La personne en souffrance psychique n’a pas les moyens d’une prise en charge par un psychologue en libéral.

Le remboursement des consultations chez un psychologue libéral par l’Assurance Maladie est destiné à lever ces deux derniers obstacles à la prise en charge. C’est une bonne chose à condition de ne pas complexifier le parcours du patient.

Et c’est bien là que ça coince !

Si la proposition du gouvernement est mise en œuvre, le patient devra suivre un parcours complexe fait d’allers et retours entre médecin traitant, psychologue et éventuellement médecin psychiatre.

La démarche de consulter un psychologue est le plus souvent une démarche déjà difficile. Ce parcours complexe risque de représenter un obstacle pour des personnes en souffrance psychique.

Le parcours du patient entrant dans le dispositif tel qu’il est prévu ressemblera à ça :

  • Raconter ses problèmes au médecin traitant, généraliste souvent non formé à la santé mentale, qui prescrit une première séance pour faire un état des lieux de la situation du patient.
  • Faire une première séance de bilan avec un psychologue.
  • Retourner chez le médecin généraliste qui évalue sur la base d’un compte-rendu fourni par le psychologue si le patient doit ou non être suivi.
  • Si le médecin prescripteur juge que le patient doit être suivi – le dispositif ne concernera que les personnes souffrants de troubles, anxieux ou dépression, légers – il prescrit 7 séances au mieux.
  • Faire les séances chez le psychologue.
  • Retourner chez le médecin généraliste qui orientera, s’il le juge nécessaire, vers un médecin psychiatre.
  • Faire une séance de bilan auprès d’un médecin psychiatre chargé d’évaluer si la prise en charge psychologique doit continuer avec le psychologue.
  • Retour vers le médecin généraliste qui au mieux prescrira 7 séances supplémentaires avec le psychologue.

Pour les patients, cela ressemble à un parcours de prise en charge avec de très nombreux points de friction alors que nous devrions au contraire favoriser un chemin avec le moins de frictions possible.

Un tel dispositif enlève une partie de l’alliance thérapeutique qui se noue entre le patient et le psychologue qui est à la base de la thérapie et qui la rend efficace.

Par ailleurs, le dispositif met en place une tutelle du psychologue par le médecin traitant. Par exemple, décider de la fin ou non d’une thérapie est du ressort du psychologue et de son patient. De mon point de vue, une collaboration avec le médecin est parfaitement envisageable voire bénéfique pour le patient. Une mise sous tutelle l’est beaucoup moins.

Vers une prise en charge moins efficiente ?

Aujourd’hui, quand vous consultez un psychologue vous avez la garantie d’être pris en charge dans un cadre adapté.

Quand une personne prend contact, je réponds en fonction de sa demande et de ses besoins. De manière très simple et directe, je propose un rendez-vous ou j’oriente vers un.e psychologue qui répondra mieux à la demande si nécessaire.

Chaque psychologue a sa façon de pratiquer mais de manière générale, un psy vous reçoit dans le cadre suivant :

  • Des séances qui peuvent durer de 45 minutes à 1 heure. C’est le temps nécessaire pour la mise en œuvre de nos dispositifs thérapeutiques et pour l’ouverture relationnelle des patients.
  • Un nombre de séances qui n’est pas défini à l’avance. Dans le cadre de ma pratique, il n’est pas rare que la prise en charge de certains patients ne nécessite pas plus de quelques séances. Il n’est pas rare non plus qu’il soit nécessaire d’envisager des thérapies plus longues.

La consultation psychologique a un cadre mais c’est un cadre souple qui s’adapte aux problématiques et à la temporalité psychique du patient. C’est ce qui permet une thérapie efficiente. C’est pourtant ce qui est mis en péril par le dispositif annoncé.

Si la proposition du gouvernement est mise en œuvre, elle figera de fait le cadre de la prise en charge :

  • D’abord, vous ne pourrez pas prétendre à plus de consultations remboursées que celles prévues par le dispositif.
  • Ensuite, au delà du nombre maximum de consultations remboursées, c’est la durée même de chacune des consultations qui risque d’être affectée.

Les conditions de tarification – et l’impossibilité de pratiquer un dépassement d’honoraires, même modeste – sont telles que les psychologues seront contraints de limiter la durée des consultations entre 20 et 30 minutes.

À vrai dire, c’est la durée de consultation préconisée dans ce qui a filtré du projet du gouvernement. Cette préconisation fait fi de la réalité du terrain – ce qui se passe dans le cabinet du psychologue – pour satisfaire les contingences comptables de l’Assurance Maladie.

Sur ce point, je me garderai bien d’émettre un jugement hâtif mais je devine que la qualité de la prise en charge était moins une préoccupation que le fait de vite annoncer le remboursement.

La confidentialité mise à mal !

Aujourd’hui, lorsque vous consultez un psychologue, celui-ci est le garant de la confidentialité de ce que vous partagez dans le cadre des séances. Ce qui est dit en consultation reste entre vous et le psychologue.

Si la proposition du gouvernement est mise en œuvre, quand vous consulterez un psychologue conventionné (c’est-à-dire inscrit dans le dispositif) alors le parcours de prise en charge nécessitera des échanges de compte-rendus avec le médecin généraliste prescripteur via l’Assurance Maladie.

Dans l’absolu, un échange avec le médecin prescripteur n’est pas une mauvaise chose à la condition que ce soit bien cadré :

  • Le psychologue ne transmet que des conclusions générales et pertinentes concernant l’évolution du patient.
  • Le psychologue ne doit pas être forcé à transmettre des comptes-rendus de séances.
  • Seul le médecin prescripteur peut avoir accès aux conclusions.

À l’heure actuelle, on ne sait pas vraiment ce qu’il en sera dans le dispositif à venir mais les expériences pilotes menées jusque-là dans différents départements incitent à la vigilance.

Vigilance est le maître-mot concernant les trois points que j’ai cité mais ce ne sont pas les seuls points d’inquiétude pour de nombreux psychologues.

À titre personnel, Je suis favorable au remboursement des consultations psychologiques mais pas n’importe comment et surtout pas au détriment du patient et de l’éthique.